Sarkozy, ou l'art de la confusion, par Eric Fassin
Pour Nicolas Sarkozy l'incohérence est une arme politique : en ne respectant jamais le principe de non-contradiction, le candidat rend la contradiction impossible.
Dans les pages débat du Monde du 12.04.07, Eric Fassin (sociologue et enseignant à l'Ecole normale supérieure, chercheur à l'IRIS) analyse la confusion de la rhétorique de Nicolas Sarkozy, ou plutôt à sa rhétorique de la confusion. Il (Nicolas Sarkozy) dit systématiquement une chose et son contraire. Par exemple dans son échange avec Michel Onfray qu’a publié Philosophie Magazine, Nicolas Sarkozy :
- Déclare d'abord "Il n'y a pas d'un côté des individus dangereux et de l'autre des innocents."
- Et d'expliquer : "C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons tant besoin de la culture, de la civilisation."
- Puis, change de position : "Mais que faites-vous de nos choix, de la liberté de chacun ?"
- Et enfin, au mépris des arguments qu'il vient d'avancer lui-même, "J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie."
En trois paragraphes, trois arguments différents : la culture, la liberté individuelle, et la nature. Une chose, une autre, et leur contraire.
L'incohérence est, chez Nicolas Sarkozy, érigée à l'état d'art.
- C'est d'abord une question d'opportunisme intellectuel. Ainsi, interpellé le 5 février 2007 à la télévision sur son refus d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe, Nicolas Sarkozy déclarait : "Je n'ai pas fait le choix de l'hétérosexualité, je suis né hétérosexuel." Pourquoi ce coming out ? C'est qu’il ne souhaitait pas déplaire à son électorat conservateur mais n'avait aucun argument à objecter aux revendications d'égalité. Aussi est-il réduit à invoquer, au principe d'une conviction forcément intime, sa nature hétérosexuelle. C'est le degré zéro du raisonnement, un "c'est ainsi" génétique, à défaut d'autres arguments.
- Cette faiblesse est aussi une force rhétorique. Car à force de dire tout et l'inverse de tout, Nicolas Sarkozy parvient à son but : on ne sait plus où on en est. On dénonce les violences (à la gare du Nord), et on justifie les violences (des marins qui incendient le Parlement de Bretagne). On s'affiche en défenseur des classes populaires, et on redistribue l'argent aux riches. On fait miroiter des régularisations, et on donne en spectacle des expulsions. On se pose en ami des minorités raciales, et l'on couvre les violences policières racistes. On manipule tour à tour le lexique de la "racaille" et de la "discrimination positive". Sur les boulevards, sous couvert de sauver les prostituées de la traite, on les persécute au quotidien. Et de même sur l'école et le travail, l'islam et la laïcité, l'économie et l'écologie, l'Amérique et l'Europe, bref, sur tous les sujets.
En ne respectant jamais le principe de non-contradiction, le candidat rend la contradiction impossible : comment s'opposer à lui quand il dit tout et son contraire ? Le discours politique n'a plus aucun sens, et toute réponse, critique ou solution alternative, est piégée d'avance - récupérée et discréditée par la logorrhée du candidat. Sous couvert du "courage de dire les choses" et du "parler vrai" Nicolas Sarkozy légitime l’incohérence. "On n'est pas les meilleurs quand on dit tout et le pire". A dit Nicolas Sarkozy lors d’un déjeuner républicain, pensait-il à lui ou donnait-il une nouvelle démonstration de sa rhétorique de la confusion !
Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy, c'est celui par qui le désordre arrive, dans la société, et dans les esprits. Et c'est sur cette stratégie du désordre, tant social qu'intellectuel, qu'il bâtit sa politique d'ordre. Malheur à lui - ou malheur à nous, démocrates de peu de foi ? Si le vocabulaire politique ne veut plus rien dire aujourd'hui, alors, quel sens la démocratie pourrait-elle encore préserver demain ?